I. Un enchantement ancien
Dans les entrailles du Dauphiné, une vieille tour du XIIIe siècle se dresse sur un piton rocheux, dominant un lac profond et nourri de légendes. On l’appelle la Tour de l’Aigle, du nom d’un seigneur oublié, dont l’unique héritier disparut mystérieusement.
On raconte qu’à chaque solstice d’hiver, lorsque la nuit est la plus longue, apparaissent autour de la tour des lumières flottantes — petites sphères de lueur blanche, qui dansent lentement, en ronde silencieuse, comme un chœur lumineux hors du temps.
II. Le pèlerin offert
Une jeune villageoise, Eléa, fidèle aux traditions, gravit le sentier verglacé pour assister à cette ronde. Elle était curieuse, mais aussi un peu effrayée, car on disait que ceux qui restaient trop longtemps près de la tour étaient happés par la danse éternelle, et n’en revenaient jamais.
Pourtant, ce solstice-là, animée par une intuition irrésistible, Eléa resta. Elle s’agenouilla dans la neige, comme pour recevoir un don. Et les lumières, douces et enveloppantes, l’entourèrent. Elle ferma les yeux, se laissant bercer par leur présence frigide et tendre.
III. Le pacte silencieux
Lorsqu’elle se réveilla, la tour semblait lointaine, et le matin venait à peine de poindre. Des brumes lourdes couvraient le lac. Mais Eléa tenait dans sa main une plume d’un blanc pur, si légère qu’elle semblait vivante.
Cette plume, dirent les anciens, était un cadeau de la Ronde, un talisman pour ceux qui avaient offert un peu d’eux-mêmes à l’étrange ballet nocturne. Eléa la rapporta au village, et on s’aperçut qu’elle guérissait de petites blessures quand on l’y appliquait, ou apaisait les cœurs tourmentés.
IV. Le prix du cadeau
Cependant, chaque fois que l’on entre en contact avec ces lumières, le don a un reflet sombre : la plume ne fonctionne que si l’on la porte sur soi sans jamais la montrer à autrui. Lorsqu’on tente de l’exhiber, elle se fane, et l’âme du porteur ressent alors un froid qui l’entraîne dans des rêves où l’on perd peu à peu la mémoire.
Eléa comprit qu’il existait un équilibre fragile : offrir de la confiance aux êtres étranges donnait en retour quelque chose de beau, mais rien ne devait être partagé par vanité ou désir d’être estimé.
V. La légende perdure
Devenues conteuses, Eléa puis ses enfants gardèrent la tradition vivante. Tous les solstices, certains veillent au loin, guettant dans la nuit les danses des lumières.
Et certains disent que, dans le silence d’hiver, lorsqu’on entend le vent souffler sur le lac gelé, on croit voir, tout au fond, une ancienne tour où les pierres murmurent une ronde éternelle, et où l’on peut encore tenir entre les doigts une plume blanche, fragile comme l’âme d’un être surnaturel.