I. Ce marais silencieux
Perdu au cœur du Poitou, le Marais de l’Ombelline est un lieu oublié des cartes modernes. Jadis nommé « Marais des Soupirs » à cause des brumes denses qui s’y lèvent à l’aube, il est aujourd’hui réduit à une zone méconnue, et les rares riverains chuchotent à propos d’un secret ancien.
On raconte que, quand la lune est pleine, le marais devient un espace à double face — à la fois lunaire et terriblement vivant, comme si chaque herbe et chaque bourbier palpitait d’une conscience secrète.
II. L’apparition des nymphes
Selon les légendes populaires, des nymphes d’eau — jeunes femmes aux cheveux flottants et aux effluves aquatiques — apparaîtraient alors. Elles dansent sur l’eau, traversent la brume, chantent un refrain qui ressemble à une berceuse perdue. Leur peau pâle, presque luminescente, évoque la clarté claire de l’eau pure.
Certains les décrivent comme amicales, guidant les pèlerins perdus vers la terre ferme. D’autres les estiment dangereuses, capables de séduire les égarés pour les attirer dans les profondeurs boueuses du marais.
III. L’histoire de Jeanne la Disparue
Il y a un siècle, une jeune femme nommée Jeanne vivait dans un hameau proche du marais. On racontait qu’elle avait le regard triste et la voix douce. Un soir de pleine lune, elle disparut. On retrouva seulement ses chaussons près du bord du marais, et une trace de chant léger — comme un écho lointain.
Son frère, Émile, brava la brume pour la chercher. Dans le silence, il entendit un murmure. Une mélodie douce, comme si quelqu’un chantait pour consoler la nuit elle-même.
Il la suivit jusqu’à une clairière dégagée, au centre du marais, et y vit Jeanne, entourée d’ombres lumineuses. Elle dansait avec les nymphes, les bras levés, le regard tourné vers la lune.
Ils l’ont trouvée le lendemain matin, les cheveux épars, les yeux vidés de larmes ; elle ne parla jamais de cette nuit. Mais elle sut que, de l’autre côté de la brume, la mer intérieure des morts existe, douce mais définitive.
IV. La légende transmise
Les anciens du village disent qu’on peut encore croiser les nymphes lorsque la lune est pleine.
Il ne faut ni appeler, ni regarder trop attentivement. Juste entendre leur chant, et s’en aller.
Les parents murmurent à leurs enfants :
« Écoute le chant. Laisse-le t’envelopper… puis laisse-le s’en aller avec le vent. »
Et lorsqu’un promeneur téméraire s’approche trop, on ne le revoit jamais — ou seulement après quelques jours, avec une lumière étrange dans les yeux et une paix éternelle dans le regard.
V. Le prix du regard
Selon les légendes transmises oralement, si l’on regarde une nymphe sans détours — de face et longtemps — on est marqué pour toujours. Certains disent que le regard devient comme du verre d’eau figé, gelé, sans chaleur humaine. On devient un reflet sans cœur, un souvenir immobile du monde.
VI. Une brume toujours vivante
Aujourd’hui encore, aux abords du marais, la brume se lève plus tôt et plus épaisse que partout ailleurs. Et, parfois, à la lumière lunaire, on entrevoit des silhouettes frêles. Un chant flottant. Une nostalgie profonde.
Les nymphes du Marais de l’Ombelline ne sont pas une légende à expliquer, mais un ressenti à accueillir — mystérieux, fragile, vivant.