I. Un hôtel de carte postale
Durant les années 1900, un hôtel luxeux fut construit pour accueillir l’élite de la Belle Époque. On l’appela l’Hôtel des Pluies Silencieuses, en hommage aux caprices météo de la côte : pluie fine, continue, presque inaudible, tombant sur les toits, les balcons, les jetées. Ceux qui y séjournaient parlaient d’un silence étrange, interrompu seulement par le ressac des vagues.
II. L’arrivée d’Éliane
En 1925, une romancière exilée, Éliane de Beaumont, choisit l’hôtel pour écrire son nouveau roman. Elle s’installa dans une chambre du dernier étage, avec vue sur les falaises et l’océan. Chaque matin, elle écrivait au son feutré des gouttes frappant les volets. Elle crut entendre, la première nuit, un murmure tremblé :
« … toujours… ici… »
Elle pensa au vent. Elle se trompait.
III. Le miroir de la chambre
Éliane remarqua un vieux miroir baroque accroché au mur. Il reflétait tout… sauf elle. Pétrifiée, elle recula. Le miroir montrait la chaise vide, la porte entrebâillée, les rideaux en mouvement, mais jamais son propre reflet.
Elle recouvrit le miroir d’un drap. Le même murmure recommença, plus clair :
« Viens… avec moi… »
IV. La pluie tombe pour elle
Les jours suivants, Éliane ne vit personne à l’hôtel. Le personnel était absent, les couloirs désertés. Mais la pluie, elle, tombait toujours, parfaite, silencieuse. Elle commença à écrire une nouvelle légende — celle d’une femme piégée, enfermée dans un écho, capturée par un reflet qui ment.
V. L’apparition
Une nuit, dans le miroir découvert, elle vit une silhouette féminine, vêtue d’une robe blanche, le dos tourné. La pluie frappait son dos. Éliane sentit qu’elle devait répondre au murmure. Dans le miroir, elle posa la main sur le verre. Et la main blanche appuya aussi, de l’autre côté.
Un frisson… et tout s’arrêta. La pluie cessa. Le silence devint oppressant. Puis la silhouette lui sourit.
« Merci d’avoir répondu. Je suis restée ici trop longtemps. »
Et le miroir redevint un miroir.
VI. Le vide brisé
Le lendemain, la chambre était vide : ni miroir, ni drap, ni traces de la silhouette. La porte était ouverte sur un couloir ensoleillé. La pluie avait cessé, remplacée par un vent vif chargé de sel.
Éliane quitta l’hôtel. Elle affirma qu’elle y avait « fait descendre la pluie et libéré une âme ». L’hôtel, abandonné pendant des décennies, fut finalement repris, mais jamais reconstruit.
VII. Les voyageurs téméraires
Aujourd’hui, l’Hôtel des Pluies Silencieuses est une ruine “interdite”. Les rares aventuriers qui s’y rendent entendent parfois la pluie… mais pas au dehors. Juste sur le toit effondré. Et certains disent apercevoir dans les fenêtres brisées une silhouette blanche, levant la main, comme pour saluer le vent ressuscité.
VIII. Une légende de pluie et de miroir
Cette légende parle du pouvoir des souvenirs piégés — ici, dans le reflet — et de la manière de les libérer. La pluie, silencieuse, incarne la tristesse retenue. Le miroir, l’écho déformé de notre présence. Et la rencontre… une épuration douce, une délivrance.