I. Ruines en silence
Perchée dans une vallée isolée de Bourgogne, l’Abbaye des Miroirs Brisés est connue des rares voyageurs comme un lieu où la lumière prend des formes vivantes. L’abbaye fondée au XIIᵉ siècle fut détruite par un incendie dont on raconte qu’il éclata lors d’une procession rituelle évoquant la vanité humaine.
II. Le voile de verre
Les vitraux volèrent en éclats dans l’incendie, mais certains fragments sont restés accrochés aux pierres ou tombés dans l’eau du lac. Depuis, lorsqu’on entre dans l’abbaye, on croit voir son propre reflet… mais altéré : un sourire qui n’était pas le sien, un regard retourné, un souffle rauque dans l’ombre.
III. Les pèlerins du reflet
Une photographe, Aurélie, passionnée par les ruines sacrées, décida d’y passer une nuit. À l’heure où le crépuscule embrase les pierres, elle prit une photographie du vitrail brisé. Sur l’écran de son appareil, au moment du déclic, elle vit une silhouette derrière elle. Elle se retourna : personne. Mais dans l’image, un visage émacié, chuchotant quelque chose qu’elle ne put jamais déchiffrer.
IV. Le murmure des fragments
Elle collabora avec un ancien restaurateur, Benoît, qui souvent pénétrait la nuit dans l’abbaye pour étudier la lumière étrange. Il écouta. Les murs semblaient murmurer :
« Ne cherchez pas vos yeux ici ; ce lieu retient ce que vous avez effacé. »
Ce que l’on reflète n’est pas ce qu’on croit. Des regrets oubliés, des prières silencieuses, des fantômes d’âme — tout cela affleure dans chaque éclat.
V. Le secret perdu
Les archives parlent d’un abbé défroqué, Gautier, qui vécut ici juste avant le tragique incendie. Il aurait dit qu’il avait vu son propre visage dans un fragment tombé au sol. Que son regard était devenu celui d’un étranger. Peu après, l’incendie éclata.
On murmure que Gautier est piégé dans chaque éclat, tournant le dos à la cathédrale détruite.
VI. Le choix de la paix
Aurélie et Benoît s’assirent au bord du lac. Ils brisèrent un petit fragment et le laissèrent dans l’eau. Les reflets cessèrent soudainement. Seule resta une lumière douce, mouvante.
Peut-être furent-ils les premiers à rompre le cycle de la plainte silencieuse des miroirs… et à offrir à l’abbé une libération.