I. Là où les voix s’éteignent
Dans la vallée d’Aure, nichée entre les sommets silencieux des Hautes-Pyrénées, les anciens parlent d’un pic solitaire que l’on appelle le Rocher des Chants Perdus.
Un promontoire de pierre grise, sculpté par le vent, d’où l’on dit que les voix ne reviennent jamais.
Si l’on crie, aucun écho ne répond.
Si l’on chante, le son ne redescend pas.
Comme si quelque chose — ou quelqu’un — gardait pour lui chaque mélodie offerte là-haut.
II. Le berger muet
Il y a bien longtemps, un vieux berger nommé Maël vivait au pied de ce rocher. Solitaire, il passait ses jours avec ses brebis, et ses nuits à chanter sous les étoiles.
Mais un jour, sa voix s’éteignit. Sans raison. Pas de maladie, pas de blessure. Juste… le silence.
Il monta alors jusqu’au sommet du rocher, et hurla sa détresse.
Et même s’il ne pouvait plus parler, les oiseaux s’envolèrent, comme s’ils avaient entendu quelque chose d’invisible.
Lorsqu’il redescendit, il n’avait toujours pas retrouvé sa voix.
Mais chaque soir, le vent, en passant près du Rocher, murmurait ses anciennes chansons.
III. Le secret des oiseaux
Les enfants du village apprirent vite que lorsqu’un oiseau s’arrêtait sur leur fenêtre et chantait une mélodie étrange, c’était un chant perdu. Un fragment volé par le Rocher.
Certains reconnaissaient la berceuse de leur grand-mère disparue.
D’autres entendaient une chanson qu’ils n’avaient jamais connue… mais qui semblait venue d’eux-mêmes.
On comprit alors :
Le Rocher garde les voix de ceux qui ont aimé chanter.
Pas les chanteurs de métier.
Mais ceux qui chantaient par besoin, par douleur ou par amour.
IV. L’enfant muette
Une fillette nommée Léna, née sans parole, vivait près du col. Chaque jour, elle gravissait les pentes jusqu’au Rocher, s’asseyait face au vide, et fermait les yeux.
Elle ne parlait pas, mais elle écoutait.
Elle plaçait sa main sur la roche, et parfois, elle souriait.
Un jour, au retour, elle s’arrêta sur le chemin, leva les bras vers le ciel, et un oiseau se posa sur son épaule.
Il chanta.
Et dans ce chant… il y avait sa voix.
Une voix qu’elle n’avait jamais pu émettre.
Une voix pure, douce, fragile… et pourtant bien à elle.
V. Les trois règles
Selon la légende, quiconque monte au Rocher des Chants Perdus peut y déposer un fragment de son âme, à condition de respecter trois règles :
- Ne rien attendre en retour.
Le Rocher garde, mais ne rend que par caprice. - Chanter pour quelqu’un d’autre que soi.
L’égo ne résonne pas dans la pierre. - Venir seul, au lever du jour ou à la tombée de la nuit.
Les heures grises sont les seules que la roche accepte.
VI. Le chant des disparus
On dit que lorsque le vent souffle fort dans la vallée, les plus attentifs peuvent entendre des bribes de chansons oubliées.
Un chant d’amour, un air d’enfance, une mélodie sans nom…
Ce sont les Chants Perdus, libérés pour quelques secondes avant de retomber dans l’oubli.
Certains montent au Rocher pour écouter ceux qui ne sont plus.
D’autres pour y déposer leur dernier chant, juste avant de partir.
Il n’y a pas de tristesse là-haut.
Seulement le silence plein de souvenirs.
VII. Et si vous y allez…
Un sentier discret grimpe depuis le hameau de Guchen jusqu’au sommet. On ne le trouve pas sur les cartes. Il faut demander aux anciens, ou suivre les oiseaux à l’aube.
Mais si un jour vous sentez votre voix s’alourdir de trop de choses non dites…
…si vos chansons restent bloquées dans votre gorge ou dans votre cœur…
Montez.
Chantez pour la dernière fois.
Et laissez le vent faire le reste.